La cuisinière des Kennedy, Valérie Paturaud
- Genovefa
- 21 juin
- 3 min de lecture

« Quelqu’un m’a trouvée sur un trottoir. J’étais minuscule mais je portais une robe de princesse… » Ainsi débute l’histoire extraordinaire d’une petite fille abandonnée sur le parvis d’une église marseillaise, le 2 décembre 1907, et qui par la force de son courage et de son travail acharné, deviendra la cuisinière de la famille Kennedy.
La « pitchoune », prénommée Andrée, est placée en nourrice à Cornillon, dans la Drôme, chez Sidonie Collomb, mère de huit enfants et qui a déjà accueilli deux autres pupilles. En 1914, les frères aînés ayant été mobilisés, les bras manquent à la ferme et la fillette, tout en fréquentant l’école, prépare les repas pour toute la famille.
Trois ans plus tard, Andrée est placée dans une nouvelle famille où elle écoute, observe et apprend tout ce qu’elle doit savoir en cuisine. Comment découper les légumes en julienne, comment farcir une caille, comment préparer une sauce chasseur… Le soir, elle consigne le moindre détail des recettes dans son carnet.
A vingt ans, elle épouse Léopold Imbert, un cafetier de Venterol et met au monde une petite Madeleine. Mais son mari rentre « fin soûl et à pas d’heure » et devient violent. Alors, Andrée le quitte, sa fille sous le bras, et travaille, de cuisine en cuisine, pour de grandes familles bourgeoises à Lyon et sur la Côte d’Azur. Lorsque la guerre éclate, c’est la mort dans l’âme qu’elle décide de mettre Madeleine à l’abri en la confiant à son père. Elle ne la reverra qu’épisodiquement.
Au fil des années, alors que sa réputation d’excellente cuisinière s’étend dans toute la région, Andrée reçoit des offres d’emploi alléchantes. C’est ainsi qu’elle rejoint la brigade du chef de la maison des frères Auguste et Louis Lumière. Puis, dans un village perché sur les hauteurs de Grasse, Albert Camus se régale de ses blanquettes et ragouts au cours de repas en présence de Jean-Paul Sartre et de Michel Gallimard qui, à son tour, l’embauche.
Mais c’est en 1953 que sa vie connait un véritable tournant. Après deux années au service des Rogers, un couple d’Américains qui séjourne sur la Croisette, - à la villa Ad Astra, qui voit défiler Picasso, Jean Marais, Brigitte Bardot, Jean Cocteau, Kirk Douglas ou le duc de Windsor – Helen Rogers lui propose de les accompagner aux Etats-Unis.
Comment refuser une telle opportunité ? Même si elle a conscience de délaisser sa fille avec laquelle les relations sont tendues. Le manque d’ambition de Madeleine la déçoit mais Andrée lui promet de lui envoyer de l’argent pour qu’elle la rejoigne. Un rêve qui ne se réalisera jamais.
A son arrivée à New York, la modeste provinciale, la cinquantaine, est accueillie au pied de la passerelle par Joe Kennedy qui l’embrasse et lui souhaite la bienvenue. Une cuisinière supplémentaire étant la bienvenue dans la famille de Joe et Rose Kennedy – il y a tellement d’enfants et de petits-enfants -, Andrée va y occuper une place importante, notamment à Hyannis Port, puis au domicile de Ted Kennedy à Boston et Washington. Un lien profond se noue entre elle et les enfants, qui ne se rompra jamais. Lorsque le jeune Teddy, atteint d’une tumeur au genou est amputé d’une jambe, elle prolonge son séjour de deux ans pour l’aider dans sa rééducation.
Durant vingt ans, elle a partagé les joies et les tragédies de l’illustre famille, avant de prendre sa retraite en France en 1974. Mais Andrée est longtemps restée en contact avec Ted et sa famille de même qu’avec Rose et elle a reçu un salaire des Kennedy jusqu’à la fin de sa vie.
Sur sa tombe, dans un cimetière du Vaucluse, on peut lire sur une couronne de fleurs : « To Andrée, with love and gratitude. The Kennedy Family »
Un livre magnifique (et quelle belle plume !) inspiré de faits réels qui raconte le rêve américain d’une orpheline de la Drôme qui, grâce à son talent pour la cuisine, a travaillé pour les plus grands, « ceux dont on entend parler en ouvrant la radio ou en feuilletant son journal ». En partageant durant deux décennies la vie de la famille Kennedy, qui avait beaucoup d’affection pour elle, elle a été témoin, depuis l’intérieur, des grands événements historiques des années soixante aux Etats-Unis, notamment l’assassinat de John Kennedy puis celui de son frère.
Illustrée par des photos privées, cette biographie romancée, extrêmement documentée, fourmille de fameuses recettes extraites de ses carnets.
A déguster ! A savourer ! Et une auteure à suivre.
Editions Les Escales, 2024
A propos de l’auteure
Après avoir exercé le métier d’institutrice dans les quartiers difficiles des cités de l’Essonne et avoir travaillé à la Protection judiciaire de la jeunesse, Valérie Paturaud, installée dans la Drôme, se consacre désormais à l’écriture. Son premier roman, « Nézida » (2020), sur la volonté d’une fille de ferme de la Drôme de sortir de sa condition rurale, a rencontré un grand succès.
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